• ...

    Je n'ai pas su noter l'instant où la terreur se transforma en rire.
    Je ne sais si cela prit vingt et quatre années, ou si une nuit seule suffit à m'incliner.

    Il y eut ces paroles, abruptes et violentes, au sujet de ces maîtres et de la destruction. Le sceau de l'Autre Monde, la marque de la mort, le blason du chemin que l'on porte sur soi.
    "Celle que l'on nomme mal"

    Je me suis pris ce soir à errer l'oeil hagard, le sommeil, ces temps-ci, m'oubliant quelques fois ; à tourner sur moi-même tant l'espace est restreint.
    Interrogeant souvent d'un oeil un peu fuyant, la silhouette encadrée qui toujours me fait face. La pluie frappée naguère au couteau dans le gris ; les nuages encore gras et toujours familiers.

    C'est alors qu'il surgit de l'ombre du tableau, lentement, hésitant.
    L'avatar d'Iktomi qui voulu me manger au détour d'un vieux rêve.

    Il fut permis alors, de rire de ce coeur qui s'affolait bien vite. De s'amuser aussi de l'impudique absence du moindre étonnement. De se moquer surtout, de soi et de la peur, de ce qui hier encore semblait insurmontable.
    Etait
    insurmontable.

    Je vais, le mois prochain, traverser l'autre mer.
    Et peut-être qu'alors, observant des reflets sur ces vagues opaques, me rappelant combien le chant du vent des côtes peut être assourdissant

    à l'écoute du silence des vieilles bêtes marines, peut-être, je saurai rire aussi.


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    "Il ne s'agit plus de la pudeur d'une morte. Mais de l'honneur des Loups.
    Le Soleil porte la nouvelle Etoile..."


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    L'insolvable problème de la peur animale. Et la paresse, la paresse qui conduit à se meurtrir l'esprit.
    Le souvenir d'une fine bretelle rose, mal déposée, sur l'épaule délivrée de l'amie devenue alors et pour toujours une part du décor.
    Cet autre jour de mai fondu lui aussi dans le fond du tableau. Il n'est même pas certain qu'on y resonge encore en décembre prochain.
    J'ai encore cru tout à l'heure que quatre années étaient passées. J'ai ajouté un an au compteur de mon monde, et j'ai tout oublié de cette année rêvée. Il n'est rien qui ne ternisse, aucune couleur assez vive, aucun son, aucune odeur, qui soit assez tenace pour suivre sans faiblir.
    Mais tandis qu'ils s'affaissent, ils gravent toutefois leurs noms.
    C'est ainsi semble t-il, qu'on tisse la trame des existences. Des balises inutiles, s'offrant en pâture aux misérables tentatives d'identification de chaque figurant.
    En mai.



    mais nous allons en Grèce...


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  • Parce que je ne veillerai jamais sur aucun enfer...


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    Quelque part tout au fond, il doit bien demeurer quelques larmes à verser ; de celles qui, sans sanglot, à l'heure de disparaître, s'échappent brusquement, impatientes et téméraires, pour mourir bien trop vite, en semblant s'excuser de n'avoir su que faire.


    Ce ne fut qu'une larme, ô combien douloureuse.
    Pour les vastes solitudes et leurs silences éclatants....

     

     

     

     

     

     

     

    images : google


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  • «  Sais-tu chanter ?

    - Oui.

    - Où as-tu appris ?

    - Dans les sapins centenaires de mon île natale.

    - Quels ont été tes professeurs ?

    - Le soleil rouge. Les torrents glacés qui roulent du tambour entre les rochers ronds. Les cerfs et les rennes qui brament dans les nuits froides et claires. Les loups qui hurlent sur la neige. Les vents qui sifflent dans les arbres morts. La mer aux bruissements innombrables. Les oies sauvages qui pleurent les pays bleus.

    - Oui, Oui, Oui, ! dit le Rossignol de Mamiteroumi. Autant dire que tu as fait l’école buissonnière. Sais-tu le chant de combat, le chant de prière, le chant de victoire ?

    - Mon chant n’a pas de nom… Ceux qui l’entendent l’appellent comme ils veulent.

    - C’est un illettré ! C’est un illettré ! murmura la cour des rossignols.

    - Ecoute, reprit le rossignol de l’île des fleurs, si tu dois troubler nos chœurs par une musique barbare, certes, il vaut mieux que tu retournes tout de suite à tes cerfs, tes loups, tes sapins, tes oies, ton tambour et ton soleil rouge. Ici, on ne tolère point de fausses notes. Toutefois, pour te marquer notre bienveillance et pour être agréable à notre chère rossignolette, nous te permettons de te faire entendre une fois avant de t’en aller. »

    Hototogisu le Rossignol de Minuit
    L.Bourliaguet


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    Je suis déjà loin.
    Fébrile, le souffle court, parti bien avant l'heure ; et je perçois déjà les paysages brouillés par la buée, défilant de l'autre côté d'une vitre un peu sale.
    Et ce sera comme ça. Toujours.
    Cet élan comprimé, l'excitation amère du départ repoussé, attendu, du voyage jamais consommé, la route insatisfaite.
    C'aurait dû n'être plus qu'un nouveau souvenir. Je ne m'en serais pas trouvé plus aise. Souvenir ou devenir, c'est toujours ce qui n'est pas ou plus qui accroche mes soupirs, et les regrets souvent accompagnent ces ternes rêveries...
    Je dénigre volontiers ce que j'ai trop vu, à tort c'est certain ; et colore souvent à outrance ce que je vis passer comme un éclair, qui n'était même pas enchanteur mais sait le devenir, avec un peu de temps.
    Je me souviens pourtant de l'instant suspendu ou j'annonçai que non, je ne vivrai pas là, et que sans doute d'ailleurs, je n'y reviendrai plus. Mais ce n'était pas moi, ou bien cet autre est mort.
    Puisque oui, j'y retourne, et encore une fois, ne ferai que passer, pour qu'encore dans mes rêves se parent de pieux mensonges les coins de rues trop propres et les silences dans l'air, les ice breakers endormis, les marches toutes blanches, les vagues glauques et froides...
    Et je dirai encore à qui voudra l'entendre que ce sera la dernière, et que lorsqu'on y est, ailleurs, on trouve à ces lointains rêvés, un goût bien fade et une odeur trop lourde... quelque chose de fané qu'il eût mieux valu ne jamais contempler.
    Et je dirai peut-être, mais seulement à moi-même, que ce qui fut nourri ne serait-ce qu'une fois de rêves et de douleurs, ne peut finalement souffrir aucun retour.


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    Je ne suis pas très sûr.
    De qui je suis et où je vais.
    Plus très sûr de la réalité de ce que je dois ou croyais être.

    C'est regarder le ciel, mais ne plus rien y voir. Le même fond brouillé que celui des eaux sales.
    "Dehors" n'a plus de sens, il convient à présent de s'interroger sur ce qu'était l'ailleurs, ce que représentait ce fantôme affamé, ainsi que tout ce qui lui fut cédé.
    L'ailleurs qui ronge encore, mais quoi ?
    Il n'y a plus d'élan, plus de musique, de poésie.
    Il n'y a plus de vent.
    Il n'y a qu'un instant trop longtemps suspendu, un tableau silencieux où l'Ennui se contemple, un engourdissement qu'on a laissé grandir. Le froid même pas mordant, et puis l'absence encore...

    C'est s'attarder de trop, renier quelque chose, ne plus se révolter mais toujours s'écoeurer de ne plus reconnaître.
    C'est perdre son chemin et laisser disparaître ce qu'on portait naguère ; se perdre sur les côtes, arpenter les falaises tout en sachant que non, on n'en tombera même pas...
    C'est prétendre s'émouvoir encore du son de la corne de brume, quand on sait que sa plainte est morte il y a longtemps.
    C'est ce qui dissimule et puis immobilise, et tout ce qui empêche de reprendre la marche...

    Parce que, sans même y prendre garde, on a dû disparaître, dispersé pour de bon dans les vents et l'écume.


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  • Sens dessus dessous. Et des cris et des rafales.
    Des insectes volants aux allures de faisans, aux armes de mantes religieuses, brisant carreaux et portes, et bourdonnant trop fort. Des meutes de chiens errants qui dévorent les passants, des hordes de chats fous, des oiseaux assassins...
    Le rêve gris dans le ciel. Ils se rapprochent, à présent, à présent je peux voir : ce ne sont plus des oiseaux...

    Mais les chiens se tairont sur le passage de ceux qui ont cessé de les craindre.

    Serai-je donc un jour prêt à sortir de la cave, juste avant que les monstres ne viennent me dénicher
    Seront-ils silencieux comme il me l'assura, sagement indifférents pourvu que je sois brave
    ...


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  • ...


    Moi, je ne vois rien ; jamais.
    Les pays que je rêve, les pays que je porte, je ne peux pas m'y rendre rien qu'en fermant les yeux.
    Des neiges éternelles et des sapins gelés, de la mer sérieuse sous les braises de l'aube, j'ai peut être l'odeur, le souvenir du vent et le poids sur le coeur...
    Surtout ce poids, qui fait enfler le coeur et donne mal au crâne.
    Mais dès l'instant enfui, lorsque tombe la nuit, elle mange les images qui auraient dû brûler ma rétine pour y rester toujours... mes images... et je me trouve aveugle, pour jamais dépouillé de tous mes souvenirs.
    Je peux bien les conter, je peux les griffonner, mais il m'est interdit de voir encore une fois, tout seul dans le silence. J'ai beau brasser le vide, écarquiller les yeux, le fond de mon esprit est noir comme l'oubli...
    Mes images perdues qui jamais ne me bercent avant de m'endormir...

     

     


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  • "Il est venu avec les pluies,  mon camarade, celui qu'on dit que chacun a dans son dos.
    Il est venu avec les pluies, triste, et il ne s'est pas encore séché.
    J'ai pris quelques départs depuis. J'ai abordé quelques rivages nouveaux. Mais je n'ai pu le désattrister. Je me lasse à présent. Mes forces, mes dernières forces... Son vêtement mouillé - ou est-ce déjà le mien? - me fait tressaillir. Il va falloir rentrer."

     

     la vieillesse de Pollagoras - Henri MICHAUX

     


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  • .

    L'orage que tu as fui naguère qui brisa ta maison, le revoilà. De derrière les nuages qui rampent sur le large, il revient, sûrement, et tu l'entendrais presque gronder vers ta figure.
    Nul ne le sens venir, toi-même tu es tenté, encore, de te croire oublié, comme en sécurité, pour jamais exilé ; mais pourtant tu le sais, dans cette petite douleur qui te rappelle à l'ordre, tu le sais. Qu'il sera bientôt là celui qui broie et brûle, qui bride tout élan et relève les chimères.
    Vois.
    Il reste encore au ciel suffisamment d'étoiles à faire choir une à une, et encore bien du temps pour tordre tous tes os jusqu'à vider la nuit et à la laisser noire, sans plus rien à venir. Aussi noire que le monde qui te mange et te perd, quand tu fermes les yeux et te retrouves aveugle dans les voix de vieilles foules, sans aucun souvenir.


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    La mer s'est assombrie et les vagues ont enflé.
    Et ce fut comme un gros et très profond soupir.
    On vit les fantômes d'écume courir sur l'horizon. Très vite.
    Trois bateau s'enfoncèrent, assaillis par les flots comme les biches par les loups.
    Et les vagues énormes déferlèrent sur les terres, et leur ombre était celle d'un troupeau de bisons.

    Lorsque tout fut calmé, il ne restait plus rien qu'une vieille boussole, posée là sur la plage.
    Et les fantômes d'écume blanche, guettant tranquillement depuis l'oubli du large.


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  • LE DIAMANT DE POLICHINELLE
    Les contes de la Zérosième

     

     Pour l'anniversaire de son mariage, Polichinelle avait mis son habit de soie et son chapeau galonné d'or. Il courait chez le bijoutier de la ville afin d'y choisir le diamant qu'il offrirait à sa femme. Depuis quatre cents ans ce soir il avait épousé une mignonne et douce poupée blonde qui n'avait jamais cessé de l'aimer malgré ses difformités. Il était si pressé que, sans s'attarder à regarder la vitrine, il entra dans le magasin :
     - Monsieur l'orfèvre, dit-il au commerçant sitôt qu'il eût fermé la porte, je voudrais que vous me montriez le plus pur de vos diamants.
     - Volontiers, dit le marchand, je vous apporte mes plus belles pierres.
     Il alla vers un coffre d'acier, en ouvrit la serrure à secret, sortit des diamants qu'il jeta sur le comptoir. Mille rayons discrets flambèrent dans la pénombre. Avant de pouvoir parler, Polichinelle regarda avec admiration :
     - Je vous conseille celui-ci, dit le bijoutier à Polichinelle, ou cet autre dont la taille est si curieuse...
     Il les prenait entre ses doigts, les tournait avec lenteur en faisant scintiller leurs feux devant les yeux de Polichinelle.
     - Ils sont bien beaux, dit enfin Polichinelle, mais ils sont trop gros.
     - Les plus gros sont les plus beaux, répliqua le marchand.
     - quel dommage, dit Polichinelle, je ne pourrais donc les offrir à ma femme !
     - Craignez-vous qu'ils ne soient trop chers?
     - Point ; depuis si longtemps que je joue la farce, j'ai quelques économies et me crois assez riche pour acheter l'un de ses joyaux ; seulement vous oubliez, Monsieur le bijoutier, que ma femme est une poupée, une jolie poupée blonde dont le coeur est aussi tendre, aussi doux que le doigt est menu.
     - Nous aurions dû y songer plus tôt, dit le marchand, j'ai justement votre affaire. Quand je vous ai dit tout à l'heure que les diamants les plus gros étaient les plus beaux, j'avais oublié que je cache dans un recoin de mon coffre une petite merveille de diamant. Je ne le montre d'ailleurs qu'aux amis et aux personnes de goût.
     Il retourna vers l'amoire et en tira, minutieusement enveloppé dans du coton, un petit diamant aux mille facettes taillées avec une telle adresse qu'il jetait à lui seul plus de lumières que tous les diamants déjà étalés sur le comptoir.
     - Je le prends, dit Polichinelle.
     - Votre discernement ne vous trompe as, vous choisissez sans hésiter le plus beau joyau de mes réserves. Mais il est cher, horriblement cher, Monsieur Polichinelle, dit le marchand avec un gros soupir.
     - Il est pourtant petit, répondit avec timidité Polichinelle qui craignit soudain d'être trop démuni pour l'acheter.
     - C'est aussi le plus travaillé comme vous pouvez le voir, la taille coûte plus cher que la pierre, Monsieur Polichinelle... Et pourtant c'est une occasion exceptionnelle ; songez qu'il était destiné à la princesse japonaise Fouzi Yama qui, dans le dernier moment n'en a point voulu parce qu'elle est entrée dans un couvent de femmes bouddhistes.
     - Je croyais, dit Polichinelle, que le Fouzi Yama était un volcan et non une Princesse.
     - Il se peut, répondit avec aplomb le marchand, que je confonde quelque peu ces noms japonais qui sont étranges, je ne le crois pas pourtant. Enfin, dit-il en reprenant le diamant dont la pureté éblouit encore Polichinelle, s'il ne vous plaît pas, je ne serai point en peine de le vendre.
     - Ai-je dit que je ne le prenais pas, dit Polichinelle en pensant à la joie de sa petite femme quand il lui apporterait le diamant ? Laissez-moi seulement compter ma bourse.
     - Soit, dit le marchand qui commença de ranger ses pierres.
     Polichinelle vidait ses pièces et ses billets : quarante, cinquante, soixante, soixante-dix, soixante et onze, soixante-douze, soixante-quatorze, soixante... non : ce n'était qu'un papier, soixante quatorze... Rien de plus.
     - Voilà tout ce que j'ai, dit-il au marchand.
     - Je ne puis rien rabattre, je le regrette, dit le marchand. Songez que ce diamant a été commandé par l'empereur lui-même pour l'offrir à sa fille, la Princesse  je ne sais plus comment... Prenez une pierre moins coûteuse. J'ai des diamants un peu écornés que je vous laisserai à un bon prix.
     - Je n'en veux point d'autre que celui là, répondit Polichinelle désespéré. Il avait déjà imaginé avec quelle grâce la poupée saurait porter ce bijou à son doigt et comme elle répondrait à tous ceux qui lui feraient des compliments de ce diamant : "Mon mari me l'a offert. - Vous êtes heureuse d'être si gâtée, lui dirait-on". Pourrait-il revenir les mains vides ? Il se lamentait, les traits tirés, les yeux sans éclat, sa pauvre petite figure ravagée par la deception.
     - Ecoutez-moi, dit le marchand qui semblait pitoyable. Nous pourrons nous accorder. Vous m'êtes sympathique, j'aime bien aussi votre petite femme. Donnez-moi votre argent, je vous garderai le bijou, je vous le donnerai dès que vous m'apporterez la somme qui manque si vous voulez bien l'augmenter de quelques pièces pour le soin que m'aura donné la garde du bijou pendant ce temps. Je connais votre popularité comme votre conscience ; vous ne tarderez guère à vous acquitter.
     - Entendu, dit Polichinelle, satisfait de l'arrangement. Je vous demanderai seulement de me prêter quelques instants le diamant pour le montrer à ma poupée, afin qu'elle puisse déjà se réjouir de l'avoir bientôt.
     - Comment donc, dit le marchand ! à votre disposition. Et recommandant à Polichinelle de ne point égarer la pierre - il est si distrait ! - il lui mit dans un sachet que Polichinelle enferma dans la poche la plus sûre de son habit de soie. Et, tout joyeux, il courut vers son logis, impatient d'entendre sa petite femme crier son allégresse. Il allait si promptement que, dans la rue ensoleillée où brillait son habit de soie et son chapeau galonné d'or, il semblait un papillon de feu.

     A la porte de son logis, il vit réunis quelques voisins qui le regardèrent en murmurant. La concierge, quittant le groupe, s'avança vers lui :
     - Monsieur Polichinelle, pendant que vous vous promeniez, lui dit-elle, il est arrivé chez vous un grand malheur, un grand malheur... En préparant votre dinette votre poupée est tombée de l'escabeau où elle était montée pour surveiller la soupe et on l'a relevée sans connaissance.
     Polichinelle se précipita chez lui, affolé. Sa gentille femme ouvrit les yeux :
     - Mon pauvre Polichinelle, lui dit-elle, je suis tombée, je me suis fait bien mal ; je crois que je vais te laisser pour toujours.
     Entendue sur les coussins du lit, elle ne bougeait pas pour ne pas souffrir.
     - Je vais chercher le docteur Zig, cria Polichinelle, il te guérira.
     - Les voisins l'ont prévenu. Il a répondu qu'il viendrait sans tarder.
     Il arriva en effet aussitôt après. Il put à peine ausculter la poupée blonde, tant la blessait le moindre mouvement. En sortant, il dit tout bas à Polichinelle : "Mon bon Polichinelle, soyez courageux ; je ne puis la guérir ; Elle a une fluxion de la colonne vertébrale et passera dans quelques instants". Et il sortit pour essuyer en cachette ses yeux rouges. ; un médecin ne veut jamais montrer qu'il pleure.
     - Je sais que je vais te quitter mon pauvre mari, dit la poupée, et pourtant nous ne sommes mariés que depuis quatre siècles et c'était justement ce soir l'anniversaire du jour où nous nous sommes épousés. Et tu étais beau comme aujourd'hui.
     - Hélas, dit Polichinelle, moi qui choisissais chez le bijoutier le diamant que je voulais t'offrir pour fêter cet anniversaire... Le voilà.
     Il sortit du sachet la goutte de cristal pur qui lança aussitôt mille flammes.
     - Qu'il est beau, dit la poupée, que j'aurais été heureuse de le porter. Ne veux-tu pas, mon cher Polichinelle, le laisser à mon doigt ?
     - Je ne le puis, répondit tout bas Polichinelle ; le marchand ne me le donnera que lorsque je lui aurai apporté le reste de son prix. Il me l'a prêté pour te le montrer.
     - Ne pleure pas, dit la poupée en faisant un grand effort pour caresser la tête de Polichinelle mouillée par les larmes ; ne pleure pas ; je l'ai vu un moment briller pour moi, j'en suis heureuse.
     - Les belles choses viennent toujours trop tard, dit tristement Polichinelle.
     - Dis plutôt que les malheurs viennent toujours trop tôt.
     - Je veux que tu gardes cette pierre à ton doigt puisque tu l'aimes tant, répondit avec élan Polichinelle.
     - Puisque tu veux me la donner, peut-être pourras-tu me l'apporter quand elle sera payée. Ma mère et ma grand-mère m'ont toujours dit que, quand elles étaient mortes, les poupées habitaient un nuage de perles roses.
     - Comment t'y retrouver ? demanda Polichinelle.
     - Ne sais-tu pas, mon bon petit mari, que les hautes montagnes touchent au ciel ?

     La pauvre poupée ne put parler davantage et mourut. Pour ne pas vivre seul, Polichinelle, qui avait une soeur, lui demanda de bien vouloir tenir son ménage. Sa soeur n'avait jamais été très bonne ; en vieillissant, elle devenait franchement méchante. Les gens sont ainsi : la vie les aigrit, les meilleurs deviennent mauvais et les méchants se retrouvent plus méchants encore dans leurs vieux jours.
     La maison resta propre et soignée mais si les meubles y brillaient toujours, si la flamme y montait toujours dans l'âtre, toutes les caresses, toute la douceur du logis s'en étaient allées. Quand il revenait chez lui avec quelque retard : "Où avez-vous roulé votre bosse ?" lui demandait sa soeur tandis qu'autrefois sa poupée caressait son front du bout de ses doigts pour dissiper la fatigue d'une tâche supplémentaire. Jamais Polichinelle n'avait imaginé qu'il se sentirait un étranger chez lui. Il n'avait plus de joie ; pourtant, il continuait à travailler, à jouer la farce pour payer le diamant qu'il porterait à sa petite femme, dans le nuage de perles roses. Mais quand elle le voyait tassé dans un petit coin qui songeait tristement, sa soeur lui disait : "Pour les autres vos sourires ; pour moi, les pleurnicheries".
     Au bout de quelques temps, sitôt que sa bourse fût à nouveau remplie, il s'en fut chez son bijoutier.
     - Voilà votre diamant, dit le marchand. Je ne l'ai point vendu. Je tiens parole. Mais que ferez-vous de ce cadeau maintenant que vous voilà veuf ?
     - Je le porterai à celle qui l'attend.
     - Emouvante pensée, bien émouvante pensée, dit le bijoutier en comptant attentivement la bourse de Polichinelle, dix-huit, dix-neuf, vingt, vingt et un... Mais comment donc est morte votre pauvre dame ?
     - D'une fluxion de la colonne vertébrale.
     - Vingt-huit, vingt-neuf, trente... ces maladies-là ne pardonnent pas, répondit le marchand qui n'avait pas écouté. Trente... Le compte est bon. Vous voilà quitte. Si vous ne savez toutefois que faire du diamant, je puis toujours, pour vous obliger, vous le reprendre à moitié prix. Il m'a d'ailleurs été demandé par une personne d'un rang considérable. - Je vous remercie, dit Polichinelle avec une grande politesse sans remarquer la friponnerie du marchand.
     Dès qu'il arriva chez lui, il mit le beau costume qu'il passait naguère aux jours de fête. La soie comme les galon d'or en étaient déjà fanés.
     - Où partez-vous mon frère, si joliment troussé ? lui demanda sa soeur.
     - Je porte à ma petite femme le diamant que je lui avait promis.
     - Craignez-vous de me le montrer ? Comme il est beau, dit-elle après que son frèr eût ouvert le sachet. Espérez-vous vraiment retrouver votre femme ?
     - Elle m'a dit qu'elle habiterait un nuage de perles roses où j'atteindrais par une haute montagne.
     - Chansons, fariboles, sornettes et sottises ! dit la soeur. Vous ne rencontrerez que des voleurs qui vous détrousseront. Renoncez à cette croisière et faites-moi plutôt cadeau de ce diamant. La peine que je me donne pour tenir votre maison ne mérite-t-elle point cette petite récompense ?
     - Ma soeur dit Polichinelle sans s'irriter j'ai promis de porter ce diamant à ma dame. Vous ne m'y ferez point renoncer.
     - Soit, mon frère ; il faudrait sans doute que je sois plus folle que vous pour savoir vous retenir.

     Polichinelle prit une grosse canne et marcha longtemps jusqu'au moment où il aperçut des montagnes. Et quand il eût aperçu des montagnes, il marcha jusqu'à ce qu'il aperçut de plus hautes montagnes. Et quand il eût aperçu de hautes montagnes, il marcha jusqu'à des montagnes encore plus hautes et qui touchaient au ciel. Il commença de les escalader. C'était l'automne mais les journées restaient fort chaudes ; Polichinelle grimpait sur les pentes d'où s'exhalait la subtile et pénétrante odeur des dernières lavandes.
     - Où vas-tu, Polichinelle ? lui demandaient les petites fleurs bleues.
     - Au-dessus de la montagne, ne voyez-vous pas un nuage de perles roses, mes jolies amies ? Je veux y monter pour retrouver la poupée que j'avais épousée.
     - Voilà qui est bien triste, disaient les lavandes en hochant doucement leurs corolles, mais pourquoi, Polichinelle, monter dans ce nuage de perles roses où tu trouveras ta poupée ?
     - Je veux lui porter le diamant que je lui avais promis, mes jolies amies.
     - Voilà qui est bien touchant, dirent les lavandes. Monte doucement, Polichinelle, le soleil brûle, la pente est rude, la montagne, haute. Ménage tes forces si tu veux atteindre le nuages avant qu'il ne disparaisse.
     - Merci de vos conseils mes jolies amies.
     Polichinelle monta tout doucement. Bientôt, il n'y eût sous ses pieds que le roc ; il monta pourtant. "Courage, lui crièrent encore les dernières lavandes du chemin, courage et bonne chance, Polichinelle ! "
     Après les rocs vinrent les neiges où ses pieds s'enfoncèrent sans qu'il s'arrêtât.

     Quelques moments plus tard, Polichinelle ne fut plus qu'une petite tache colorée attachée au flanc vertigineux de la montagne. Le nuage de perles roses était encore haut dans le ciel. "Y arrivera-t-il jamais ?" se demandaient les petites lavandes. Et elles crièrent au nuage de perles roses : "Nuage, descends ; voici Polichinelle qui veut rejoindre sa poupée blonde". Et le nuage s'approcha lentement de la montagne.
     Brusquement, le soir tomba ; tout devint couleur de cendre. Un dernier rayon fit luire un moment le costume de Polichinelle, l'or du chapeau brilla pour la dernière fois. Polichinelle étendit le bras pour atteindre le nuage de perles roses qui flottait près de sa tête. Entre ses doigts le diamant scintilla comme une petite étoile. Puis, les vagues de la nuit vinrent tout à coup battre la montagne et s'engouffrèrent dans la vallée. Le jour s'éteignit comme une lumière qu'on souffle. Les couleurs, les reflets, le nuage, Polichinelle et son diamant disparurent dans cet océan.

     

     

     

     

     

     

     

     


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    Archiver, oublier, et perdre pour finir le seul espoir de larme qu'on a cru esquisser. Inexplicable petit rien, qui me fait rappeler ce que j'ai ressenti. Sans saveur, sans plus rien de vibrant.
    Par vanité cependant j'ai choisi de me souvenir de ces quelques images.

    De tout ce qu'on devine dans les regards des jeunes enfants, qui savent encore reconnaître ce qui est beau ou laid.

    La prière muette au vieux sphinx meurtri.
    La destruction du temple, et le coeur qui se serre face au rêve accompli. Les blessures dans la pierre, les fissures béantes, les blocs au fond de l'eau ; et les vieux qui repassent inlassablement, se répéter encore que la mer peut bien engloutir le monde...

    La mer au masculin...

    Quelque chose a changé, tout au fond, tout au fond, nul ne sait vraiment quoi, mais quelque chose n'est plus ; et j'ai erré longtemps, promenant mes murmures sur l'édifice rongé.

    Et j'ai marché longtemps parmi les ruines éparses du premier des portails sur lequel j'ai pleuré ; sous les embrins salés qui sèchent et coupent la lèvre, dans l'ombre caressante des souvenirs fanés, des histoires de pêcheurs et de fantômes tristes, le vent iodé de l'est...
    Alors j'ai emporté un vieux morceau de rouille, que la mer m'a donné en ébranlant le phare.

    Et le ressac vigoureux, pour toujours amoureux de ces rochers hostiles, rouges comme les couchants qui jamais ne les baignent, et vers lesquels je me tourne, la nuit dans mon sommeil...

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    "N'être plus a ce quelque chose de naturel que nous oublions trop."

    Et la banalité a ce quelque chose d'effroyable...


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    Parce que ces derniers temps, on fait beaucoup d'erreurs sans doute, le film saute plusieurs fois dans une même histoire, et l'on arpente des lieux plus qu'inhabituels.
    Ainsi il eut des escaliers, délabrés et sans fin, montés deux fois puis descendus avec difficulté, encombrés qu'ils étaient de passant essoufflés portant des poussettes vides. Et un jeune couple dont la femme, aveugle, se transformait en truie pour essayer chaque nuit de manger son mari. La bête à l'oeil jaune et fou, au cri effroyable, au pas lourd et rapide... Et l'oubli au matin, la folie, la folie meurtrière, métamorphoses immondes...
    Plus tard il y eut la course inquiète au-dessus de la mer en bordure de village, et l'inspection rapide des temples alentours. Une église fermée aux bas-reliefs colorés, une autre sans vitraux, dans laquelle on surprit un conciliabule tenu par cinq moines vêtus de blancs. Un autre temple encore, sombre et occupé par une large table de banquet ...
    encore...
    et de grands encensoirs suspendus aux plafonds, et une odeur de myrrhe, de moisissure aussi... Des colonnes de marbre, des tapisseries défraîchies, et un tour de salle qui fut reproduit par deux fois, à l'exacte identique.
    Parce qu'on fait des erreurs, un détail devait avoir échappé..
    ou même pas...
    De retour dans la rue, ce fut en face de Lui que j'ai fini le rêve.
    Et par deux fois encore.
    Lui, peint sur le mur gris, comme sous la pluie naguère, grand et parfaitement droit, immobile, silencieux, et par deux fois ce mur se dressa devant moi.
    Parce qu'on fait des erreurs ces derniers temps..
    Parce qu'un détail sans doute, avait dû m'échapper...
    et m'échappe encore plus...
    Et toujours le même effroi tranquille quand on rouvre les yeux...


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    "Pour prier Rejonik" les loups se sont gardés de toute directive.
    Le très Vieux le très Grand, celui qui engendre les mondes, celui qui les dévore ; la rivière-monde qui tend l'infini vide et blanc du rêve, qui touche aux quatre coins du ciel d'Etiloat, qui contient toute chose, toutes les distorsions, et toutes nos essences ; qui nous pétrit et nous brasse inlassablement...
    Préparer le long pèlerinage vers les cascades de granit maculées du sang noir de ceux qui en sont tombés, s'y sont meurtri, ont disparu...
    Impossible à cerner, impossible à saisir, le Grand Serpent qui tout possède, qui est l'Unité même, et qui se laisse porter par son propre courant ;
    impossible à prier qu'en se faisant mal ou en se prosternant aux pieds des avatars qu'on avait reniés.

     


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    Que roule ainsi la nuit et s'effacent les astres, les étoiles n'ont que faire des sanglots ici-bas. Souffle la brise froide dans les branches graciles, chante l'oiseau de ville sous les squelettes des pins.
    J'aurais voulu mourir, ce me fut refusé.
    Contrecarrer la Nuit est une trop grande affaire, même pour les loa ; l'affaire de l'Ondoyant aux desseins torturés, lové dessous la cendre.

    une couleuvre rousse, une couleuvre blanche

    Il faudra guetter l'aube qui jamais ne viendra, et puis conter une histoire, quand on sait qu'on devra balbutier, jusqu'à en suffoquer la bave aux lèvres.
     Il faut continuer puisqu'il n'y a pas d'issue.
    Infini désespoir sans rien qui le décrive, Vide noyé de cris, de spasmes révoltés
    Désert empli de monts soulevés de vertiges, le hoquet douloureux, les yeux secs et rougis...
    A genoux dans la boue il m'entendit peut-être, mais ne m'exauça pas. C'est l'affaire du Seul Grand, que lui-même oublie ; ignore tout à fait.
    Pas l'affaire de Baron.
    Mais sous ce ciel encore, je n'ai rien pu dire, n'ai pas trouvé d'histoires, n'en connais pas vraiment...

    Alors je sais que la nuit sera longue et sans rivages. Qu'on ne connaîtra pas cette Fin que l'on voit esquissée tout au travers des mondes, sans jamais faire de bruit, sans rien faire tomber, finalement.
    Ni repos ni néant.
    Juste l'entre-deux vides, plus sombre et froid encor que la trame de fond.

     

    29 octobre


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